Fiche identité
- Titre du livre : Madame Hayat
- Auteur : Ahmet Altan
- Nombre de pages : 272
- Édition : Actes Sud
- Année de publication : 2021
Résumé
Fazil, le narrateur de cette histoire, est un étudiant en lettres. Après le décès de son père, il se retrouve sans le sou et accepte un rôle de figurant dans une émission de télévision. C’est là-bas qu’il rencontre Madame Hayat, une femme plus âgée que lui, dont il tombe éperdument amoureux. Quelques jours plus tard, il fait la connaissance de Sila, une jeune étudiante en lettres.
Avis ![]()
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C’est grâce à un post Instagram élogieux que je suis tombé sur ce livre qui est une vraie pépite. Je ne m’attendais pas à être autant emporté par cette histoire, mais ce fut le cas. On suit les péripéties de Fazil, un étudiant sans le sou qui découvre l’amour à travers deux femmes. Il y a d’abord la sensuelle Madame Hayat, une femme âgée qui le comble de plaisir en l’entraînant dans des méandres qu’il n’a jamais connus. D’un côté, il y a Sila, une étudiante en lettres comme lui, avec qui il partage sa passion de la littérature. Sila est raisonnable, logique et répond à toutes les qualités requises pour une épouse convenable. Mais, quand souffle le vent de la passion, rien n’est logique. Et c’est ce qui est merveilleux dans ce livre. Le narrateur est tiraillé entre deux mondes et tout le long du livre, on sent toutes ses émotions, toutes ses pensées et tous ses sentiments.
Jusqu’au bout, j’ai aimé Fazil, malgré ses faiblesses, ses atermoiements et son indécision. Jusqu’au bout, j’ai aimé le personnage incarné par Madame Hayat, cette femme qui respire la joie de vivre, qui vit le moment présent et qui ne se soucie pas plus que cela du lendemain. J’ai rencontré un personnage lumineux, extraordinaire et libre, dans un contexte politique et social qui, pourtant, ne le permet pas. C’est ce vent de liberté qui m’a attiré vers elle. Voici d’ailleurs un de leurs dialogues :
« – Tu veux que j’ai peur, c’est ça ?
-Et pourquoi ?
– Ça ne fait pas de mal d’avoir un peu peur ?
Elle reprit son sérieux.
– La peur est toujours mauvaise.
Puis elle sourit de nouveau :
– N’aie pas peur, Marc Antoine… Il ne faut avoir peur de rien dans la vie… La vie ne sert à rien d’autre qu’à être vécue. La stupidité, c’est d’économiser sur l’existence, en repoussant les plaisirs au lendemain, comme les avares. Car la vie ne s’économise pas… Si tu ne la dépenses pas, elle le fera d’elle-même, et elle s’épuisera. »
Derrière cette histoire, l’auteur dénonce avec une rare subtilité l’oppression du régime politique turque. Comment vivre dans un pays où règnent les arrestations arbitraires ? Les confiscations des biens privés ? Les coups qui pleuvent au hasard selon le bon vouloir des hommes barbus ? Est-ce une vie que vivre dans la crainte de se faire arrêter, d’être emprisonné pour une peccadille ? Que reste-t-il à part la mort comme le Poète ou l’exil comme Sila ?
Le style d’écriture est fluide, limpide et extrêmement bien écrit. On sent que l’auteur est un amoureux des lettres, de la littérature. Dans certaines phrases qu’il a écrites, je me suis retrouvée, comme si son âme parlait à mon âme et qu’on se comprenait au-delà des frontières et des mots.
» La littérature ne s’apprend pas. Je ne vous enseignerai donc pas la littérature. Je vous enseignerai plutôt quelque chose sans quoi la littérature n’existe pas : le courage, le courage littéraire. Ne vous contentez pas de répéter ce que d’autres ont déjà dit. Ce n’est pas ainsi qu’on travaille. Soyez courageux. La littérature a besoin du courage, et c’est le courage qui distingue les grands écrivains des autres. Voilà ce que vous apprendrez dans cette classe : le courage littéraire. »
» Mon grand rêve eût été de passer ma vie dans la littérature, à en débattre, à l’enseigner, au milieu d’autres passionnés, ce dont je me rendais toujours un peu plus compte à la fin de chaque cours de madame Nermin. La littérature était plus réelle et plus passionnante que la vie. Elle n’était pas plus sûre, sans doute même plus dangereuse, et si certaines biographies d’auteurs m’avaient appris que l’écriture est une maladie qui entame parfois sérieusement l’existence, la littérature continuait de me paraître plus honnête que celle-là. “La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l’âme humaine”, avait dit notre professeur d’histoire littéraire, monsieur Kaan. Et je le réentendais ajouter de sa voix caverneuse : “À travers ce télescope, vous voyez de l’homme les scintillantes étoiles aussi bien que les trous noirs.”
Et la dernière citation :
» Le fond de toute littérature, c’est l’être humain… Les émotions, les affects, les sentiments humains. Et le produit commun à tous ces sentiments, c’est le désir de possession. Quand vous voulez posséder quelqu’un, vous rendre maître de son cœur et de son âme, c’est l’amour. Quand vous voulez posséder le corps de quelqu’un, c’est le désir, la volupté. Quand vous voulez faire peur aux gens et les contraindre à vous obéir, c’est le pouvoir. Quand c’est l’argent que vous désirez plus que tout, c’est l’avidité. Enfin, quand vous voulez l’immortalité, la vie après la mort, c’est la foi. La littérature, en vérité, se nourrit de ces cinq grandes passions humaines dont l’unique et commune source est le désir de possession, et elle ne traite pas d’autre chose. Tel est le fond. »
Pour conclure, un livre merveilleux à découvrir de toute urgence !